Elle sentit une présence derrière
elle, elle se retourna... Et ne vit que son reflet. Sur l'instant,
elle se trouva sotte, et se mit à rire de la peur qu'elle avait eu.
Cependant, quelque chose dans son rire sonnait faux. Ce n'était
qu'un réflexe de défense, et elle le savait très bien. Elle était
extrêmement anxieuse depuis qu'elle était entrée dans ce
labyrinthe de miroirs. D'aussi loin qu'elle pouvait se souvenir, elle
avait toujours détesté ce genre d'attraction. Elle n'avait aucun
sens de l'orientation, ce qui expliquait son manque d'attirance pour
les labyrinthes classiques. Que penser alors de ces palais des glaces
prévus pour brouiller vos sens et vous égarer encore plus
facilement ? Et puis... il y avait autre chose. Une chose qu'elle ne
pouvait définir, une peur qui la saisissait à chaque fois qu'elle
déambulait dans ces couloirs aux murs réfléchissants.
Ce n'était pas la peur,
compréhensible, de se perdre. C'était quelque chose de plus
complexe, de plus profond. Une peur presque panique, qu'elle essayait
tant bien que mal de cacher lorsqu'elle partait à la suite de son
frère et de sa sœur quand, enfants, ils passaient des journées
entières à la fête foraine. Cette fois ci, elle était grande, et
elle était seule. Plus personne à qui cacher cette terreur
grandissante à part elle même. Car oui, cette fois encore, elle
avait peur. Plus peur que jamais même. Elle ne se rappelait même
plus quel idiot avait pu la pousser à entrer seule là dedans. Elle
s'en moquait. Ça n'avait plus d'importance.
Elle était à présent dans une salle
minuscule. Comme partout, le sol et le plafond diffusaient une
lumière blanche. Et comme partout, elle voyait son reflet de toutes
parts. A gauche, à droite, en face... Et dès qu'elle fixait son
attention sur un miroir, tous ses autres yeux se fixaient
instantanément sur elle.
Elle commença à ressentir une douleur
dans les mollets. Elle avait marché depuis un temps qui lui semblait
une éternité. Elle n'avait jamais été très sportive. Ça avait
toujours été sa sœur ainée la plus endurante. C'était sa sœur
que leur père emmenait aux rencontres sportives, et c'était sur son
étagère à elle que s'entassaient les trophées junior. Longtemps
elle avait rêvé d'égaler les prouesses de l'ainée. Longtemps elle
a espéré allumer elle aussi cette étincelle de fierté dans les
yeux de son père.
Elle continua d'avancer, hésitant à
toutes les intersections, ayant l'impression de tourner en rond, de
repasser encore et encore par les mêmes couloirs. Tout se
ressemblait dans ce maudit endroit... Elle finit par arriver dans une
seconde salle, un peu plus grande que la première. Et toujours ces
foutus miroirs. Elle n'avait jamais aimé les miroirs. Adolescente,
elle passait son temps à se dévisager dans celui de la salle de
bain, à essayer de se faire belle. Parfois elle pensait y être
arrivé, mais les garçons du lycée avaient vite fait de lui briser
ses espoirs à grands coups de surnoms stupides et injurieux.
En regardant successivement tous les
murs, elle se rendit compte que quelque chose clochait. Il lui
semblait que lorsqu'elle bougeait les yeux de droite à gauche ou de
gauche à droite, chacun de ses reflets continuait à la fixer
impassiblement, au lieu de bouger les yeux eux aussi. Elle conclut à
une illusion d'optique et préféra continuer plutôt que de
s'appesantir sur cette impression. Elle n'était pas du genre à
s'arrêter sur un problème et à y réfléchir. Quand elle le
faisait, elle se sentait bête et irrationnelle. Sa mère le lui
reprochait souvent. Elle se plaignait qu'elle ne soit pas comme son
petit frère, qui était curieux de tout et cherchait à
intellectualiser chaque chose, à apprendre tous les jours. C'est en
partie à cause de cette pression qu'elle avait arrêté brutalement
ses études.
Cette fois ci, elle en était certaine.
Quelque chose n'allait pas. Son cœur battait de plus en plus vite.
Alors qu'elle avançait, elle pouvait voir ces yeux, ses yeux, qui la
regardaient, partout... Elle pressa le pas.
Elle finit par arriver dans une autre
petite pièce, un peu plus grande encore que la précédente. Elle
s'arrêta en plein milieu, et se mit à tourner sur elle même.
Toujours ce regard qui venait de toutes les directions, sans un seul
endroit où se cacher. Elle s'arrêta sur un miroir qui lui faisait
face. Elle observa son reflet. Et celui ci de lever lentement vers
elle un doigt accusateur. Celui à sa gauche fit de même. Puis celui
de droite. Et celui ci, et celui là. En quelques instants, des
dizaines de doigts étaient pointés sur elle. S'en était trop. Elle
se mit à courir, à crier. Elle appela à l'aide. Mais personne ne
répondit. Personne n'était là. Il n'y avait qu'elle.
Elle déboucha dans une dernière
pièce, encore plus grande que les autres, mais qui s'avéra être un
cul de sac. Quand elle fit volte face pour chercher un autre chemin,
elle ne put retrouver le couloir par lequel elle était entré. Elle
recula, cria, s'époumona sous les regards qui l'encerclaient, lui
coupaient toute retraite. Soudainement, le sol et le plafond
n'émirent plus aucune lumière. Elle se retrouva dans le noir le
plus total. Pourtant, dans le miroir qui lui faisait face, et
seulement celui là, son reflet, son horrible reflet, continuait
d'être éclairé comme par une ouverture vers le jour au dessus de
sa tête, ce qui lui donnait l'apparence d'un ange, ou d'un fantôme.
Et toujours, toujours ce doigt accusateur, toujours ce regard qui la
transperçait, et cette bouche, cette bouche grande ouverte qui
semblait vouloir hurler, mais dont aucun son ne sortait. Elle n'en
pouvait plus. Elle aurait voulu mourir. Mourir plutôt que de
supporter encore son propre regard. Car, à travers ces yeux, elle
voyait tous ceux à qui elle avait voulu plaire. Tous ceux qui
l'avaient ignoré ou rejeté, tous ceux aux yeux desquels elle
n'était rien, et même moins que rien. Elle se recroquevilla au
centre de la pièce et se mit à pleurer.
Et puis, il y eut ce bruit. Ce bruit
électronique et assourdissant, le genre de bruits dont on veut
qu'ils s'arrêtent à l'instant même où ils commencent.
En se réveillant ce matin là, elle
eut la certitude de n'être plus jamais la même.
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