lundi 14 janvier 2013

Nouvelle - Le Palais des Glaces

Elle sentit une présence derrière elle, elle se retourna... Et ne vit que son reflet. Sur l'instant, elle se trouva sotte, et se mit à rire de la peur qu'elle avait eu. Cependant, quelque chose dans son rire sonnait faux. Ce n'était qu'un réflexe de défense, et elle le savait très bien. Elle était extrêmement anxieuse depuis qu'elle était entrée dans ce labyrinthe de miroirs. D'aussi loin qu'elle pouvait se souvenir, elle avait toujours détesté ce genre d'attraction. Elle n'avait aucun sens de l'orientation, ce qui expliquait son manque d'attirance pour les labyrinthes classiques. Que penser alors de ces palais des glaces prévus pour brouiller vos sens et vous égarer encore plus facilement ? Et puis... il y avait autre chose. Une chose qu'elle ne pouvait définir, une peur qui la saisissait à chaque fois qu'elle déambulait dans ces couloirs aux murs réfléchissants.
Ce n'était pas la peur, compréhensible, de se perdre. C'était quelque chose de plus complexe, de plus profond. Une peur presque panique, qu'elle essayait tant bien que mal de cacher lorsqu'elle partait à la suite de son frère et de sa sœur quand, enfants, ils passaient des journées entières à la fête foraine. Cette fois ci, elle était grande, et elle était seule. Plus personne à qui cacher cette terreur grandissante à part elle même. Car oui, cette fois encore, elle avait peur. Plus peur que jamais même. Elle ne se rappelait même plus quel idiot avait pu la pousser à entrer seule là dedans. Elle s'en moquait. Ça n'avait plus d'importance.
Elle était à présent dans une salle minuscule. Comme partout, le sol et le plafond diffusaient une lumière blanche. Et comme partout, elle voyait son reflet de toutes parts. A gauche, à droite, en face... Et dès qu'elle fixait son attention sur un miroir, tous ses autres yeux se fixaient instantanément sur elle.
Elle commença à ressentir une douleur dans les mollets. Elle avait marché depuis un temps qui lui semblait une éternité. Elle n'avait jamais été très sportive. Ça avait toujours été sa sœur ainée la plus endurante. C'était sa sœur que leur père emmenait aux rencontres sportives, et c'était sur son étagère à elle que s'entassaient les trophées junior. Longtemps elle avait rêvé d'égaler les prouesses de l'ainée. Longtemps elle a espéré allumer elle aussi cette étincelle de fierté dans les yeux de son père.
Elle continua d'avancer, hésitant à toutes les intersections, ayant l'impression de tourner en rond, de repasser encore et encore par les mêmes couloirs. Tout se ressemblait dans ce maudit endroit... Elle finit par arriver dans une seconde salle, un peu plus grande que la première. Et toujours ces foutus miroirs. Elle n'avait jamais aimé les miroirs. Adolescente, elle passait son temps à se dévisager dans celui de la salle de bain, à essayer de se faire belle. Parfois elle pensait y être arrivé, mais les garçons du lycée avaient vite fait de lui briser ses espoirs à grands coups de surnoms stupides et injurieux.
En regardant successivement tous les murs, elle se rendit compte que quelque chose clochait. Il lui semblait que lorsqu'elle bougeait les yeux de droite à gauche ou de gauche à droite, chacun de ses reflets continuait à la fixer impassiblement, au lieu de bouger les yeux eux aussi. Elle conclut à une illusion d'optique et préféra continuer plutôt que de s'appesantir sur cette impression. Elle n'était pas du genre à s'arrêter sur un problème et à y réfléchir. Quand elle le faisait, elle se sentait bête et irrationnelle. Sa mère le lui reprochait souvent. Elle se plaignait qu'elle ne soit pas comme son petit frère, qui était curieux de tout et cherchait à intellectualiser chaque chose, à apprendre tous les jours. C'est en partie à cause de cette pression qu'elle avait arrêté brutalement ses études.
Cette fois ci, elle en était certaine. Quelque chose n'allait pas. Son cœur battait de plus en plus vite. Alors qu'elle avançait, elle pouvait voir ces yeux, ses yeux, qui la regardaient, partout... Elle pressa le pas.
Elle finit par arriver dans une autre petite pièce, un peu plus grande encore que la précédente. Elle s'arrêta en plein milieu, et se mit à tourner sur elle même. Toujours ce regard qui venait de toutes les directions, sans un seul endroit où se cacher. Elle s'arrêta sur un miroir qui lui faisait face. Elle observa son reflet. Et celui ci de lever lentement vers elle un doigt accusateur. Celui à sa gauche fit de même. Puis celui de droite. Et celui ci, et celui là. En quelques instants, des dizaines de doigts étaient pointés sur elle. S'en était trop. Elle se mit à courir, à crier. Elle appela à l'aide. Mais personne ne répondit. Personne n'était là. Il n'y avait qu'elle.
Elle déboucha dans une dernière pièce, encore plus grande que les autres, mais qui s'avéra être un cul de sac. Quand elle fit volte face pour chercher un autre chemin, elle ne put retrouver le couloir par lequel elle était entré. Elle recula, cria, s'époumona sous les regards qui l'encerclaient, lui coupaient toute retraite. Soudainement, le sol et le plafond n'émirent plus aucune lumière. Elle se retrouva dans le noir le plus total. Pourtant, dans le miroir qui lui faisait face, et seulement celui là, son reflet, son horrible reflet, continuait d'être éclairé comme par une ouverture vers le jour au dessus de sa tête, ce qui lui donnait l'apparence d'un ange, ou d'un fantôme. Et toujours, toujours ce doigt accusateur, toujours ce regard qui la transperçait, et cette bouche, cette bouche grande ouverte qui semblait vouloir hurler, mais dont aucun son ne sortait. Elle n'en pouvait plus. Elle aurait voulu mourir. Mourir plutôt que de supporter encore son propre regard. Car, à travers ces yeux, elle voyait tous ceux à qui elle avait voulu plaire. Tous ceux qui l'avaient ignoré ou rejeté, tous ceux aux yeux desquels elle n'était rien, et même moins que rien. Elle se recroquevilla au centre de la pièce et se mit à pleurer.
Et puis, il y eut ce bruit. Ce bruit électronique et assourdissant, le genre de bruits dont on veut qu'ils s'arrêtent à l'instant même où ils commencent.
En se réveillant ce matin là, elle eut la certitude de n'être plus jamais la même.


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