vendredi 4 octobre 2013

Conte - Le Tournesol


Dans le champ de tournesols, une rumeur commençait à courir. On disait qu’une des fleurs avait arrêté de suivre le soleil. Et c’était la vérité. Au beau milieu du champ, un tournesol s’était stoppé net. Et, bien que ce fût une anomalie, elle n’était pas physique. Ce tournesol avait choisit de s’arrêter. Cette idée germait en lui depuis longtemps déjà. Elle était née d’une simple question. « Pourquoi ? ». Il s’était en effet rendu compte que tous les jours, d’aussi longtemps qu’il se souvienne, il avait suivit de la tête la course de l’astre solaire sans pour autant en connaître la raison.  Et il en était de même, il en était sûr, pour toutes les fleurs du champ. Sans doute aussi pour celles du champ voisin. Peut-être même pour tous les tournesols du monde. Et il s’étonna du fait que personne ne semblait se poser cette question : « Pourquoi ? ». Alors il s’arrêta.
Dans le champ, les esprits commençaient à s’échauffer. Certains se moquaient ouvertement de lui. Ils disaient qu’il était stupide d’agir ainsi. Les tournesols suivaient le soleil, point. Il n’y avait pas de question à se poser. D’autres l’encourageaient vivement. Ils le soutenaient dans sa révolte, et applaudissaient son courage. Très peu restèrent indifférents. Pourtant, il était toujours le seul tournesol à s’être arrêté.
Puis, peu à peu, le champ retrouva son calme. Les tournesols replongèrent un à un dans le silence, occupés seulement à tourner lentement la tête sur le passage du soleil. Et, au beau milieu, un tournesol poursuivait son œuvre. Il restait droit et fixe, de jour comme de nuit. Mais une autre question commençait à le préoccuper. La même question, à vrai dire. « Pourquoi ? ». Son acte de protestation ne l’avait pas vraiment avancé. Il avait arrêté de suivre le soleil, les autres avaient continués. Bon. Et alors ? Cela ne l’avançait en rien. Ça ne l’avait rendu ni meilleur, ni plus heureux que les autres.  À peine plus éveillé.
Alors, il se remit à suivre le soleil. Et personne autour de lui ne le remarqua.
Le temps passa encore, les tournesols suivants la course du soleil et se tassant un peu plus à chaque nouveau passage de l’astre. L’heure de la récolte approchait.
Le champ devint alors de moins en moins agréable à regarder. Autrefois fière armée de fleurs jaunes et éclatantes de vies, il n’y avait plus là qu’une vaste étendue de fleurs sèches aux tiges cassantes et aux têtes alourdies par le poids de leurs graines. Tous les tournesols baissaient la tête. Tous sans exception. Et il était impossible alors de de discerner celui qui, autrefois, avait fait acte de protestation.
Du moins, jusqu'au dernier matin avant la moisson. Alors que les rayons du soleil caressaient une dernière fois la tête de ses enfants, un tournesol, au beau milieu du champ, se mit à bouger. Et, bien que ce mouvement pût paraître lent et mou à un observateur extérieur, il lui demanda une puissance incommensurable. Il levait une dernière fois la tête.
Et, alors que les autres tournesols fixaient le sol, accablés, il admira l’aube.
Il la trouva magnifique.