C'est sur le zinc d'un troquet parisien
que furent réunis, un soir, par le plus grand des hasards, une
choppe de bière et un verre de vin. Il est des mondes qui ne sont
pas faits pour se rencontrer. C'est du moins ce que se dit le verre
de vin lorsqu'il furent présentés. Il faut dire que le contraste
était violent. La choppe de bière n'avait en effet pas beaucoup
d’élégance. Un grand verre d'où dégoulinait abondamment une
mousse blanchâtre, ça évoque d'avantage la beuverie et la
vulgarité que la noblesse. Le verre à vin, lui, avait autrement
plus de prestance. Un beau verre à pied contenant la juste dose d'un
vin vermeil. La lumière qui filtrait dans l'enivrant liquide lui
donnait des reflets étincelants. « Je ne devrais pas avoir à
côtoyer de tels individus. », se dit le verre de vin. « Je
vaux beaucoup mieux que ça. Je suis l’image même de la
gastronomie française. Je suis synonyme de délicatesse et
d'élégance. La fine fleur du terroir. Je suis là pour le plaisir
que je procure aux sens les plus avertis. Les reflets de ma robe,
l'arôme de mon nez, mes larmes qui coulent lentement, les saveurs
subtiles que je dégage au palais. Je suis à mille lieues de cet
objet de débauche, juste bon à saouler les rustres incapables de
m'apprécier, et qui finira pissé contre un mur ou vomi dans le
caniveaux. ». Mais avant même que quiconque ait peu y tremper
les lèvres, le geste maladroit d'un des clients fit choir le verre
qui se brisa en mille éclats, rependant sa contenance sur le sol.
« Mince, je suis désolé. », dit le client.
« Pensez vous, », répondit
le taulier, « c'est jamais qu'un peu de piquette. Je vous en
sert un autre. »
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