mercredi 24 avril 2013

Conte - Le Frileux

Il était une fois un petit garçon qui n'était pas fait comme les autres. Il avait froid quand les autres avaient chaud, et chaud quand les autres avaient froid. Nul ne savait d'où pouvait venir se travers. Il était né comme ça, c'est tout. Et les choses auraient pu en rester là, à ce simple était de fait, si il avait rencontré ne serais-ce qu'une seule personne pour lui ressembler. Hélas, il se rendait compte un peu plus chaque jour qu'une telle personne n'existait pas, ou, que si elle existait, elle avait appris à vivre avec. C'est d’ailleurs en arrivant à cette conclusion qu'il décidât, lui aussi, d'apprendre à vivre avec. Jusqu'alors, il avait évité de sortir avec les autres enfants. Il ne se trouvait jamais d'accord avec eux, quoi qu'ils choisissent de faire. Ceux-là avaient toujours tendance à chercher le soleil, que lui fuyait comme la peste. Il restait donc seul, dans son coin, écoutant les autres rire aux éclats. Quant à leur proposer de venir avec lui à l'ombre, il n'y songeait même pas, sachant qu'il allait encore être la cible de moqueries. On allait encore le traiter « d'étrange » ou « d'anormal ». Certains l’appelleraient encore « Le Frileux », et ça, il ne pouvait ni ne voulait plus le supporter. Un jour, après l'école, les enfants se regroupèrent pour aller jouer au parc. Il se mêla discrètement à la foule, et les suivit sur un chemin qu'il n'avait alors jamais emprunté. Bien qu'il soit facilement remarquable lorsqu'il était seul, il passa, au milieu des rires et des chahutages, totalement inaperçu. Il se prit même au jeu de l'euphorie, si bien qu'il vous aurait été impossible de le reconnaître si vous l'aviez croisé. Pourtant, au bout de quelques minutes de marche, le petit garçon sentit un frisson courir le long de son dos. « Ce n'est rien », se dit-il, « C'est juste une impression. Il fait chaud ici, je dois donc avoir chaud. ». Pourtant, arrivé au parc, il se mit à grelotter. Presque imperceptiblement, au début. « Le soleil est haut dans le ciel. Les autres ont chaud. J'ai chaud. », se dit-il pour se rassurer. Au bout de quelques minutes, il tremblait violemment. Mais, trop occupés à faire une bataille d'eau, les autres enfants n'y prêtaient pas attention. L'enfant fut pris d'une envie, celle d'aller s'allonger à l'ombre, ou de rentrer chez lui. Mais il n'en fît rien. « Les autres font une bataille d'eau », pensait-il, « on fait ce genre de choses quand il fait chaud. Il fait chaud. Je dois avoir chaud. ». Malgré ses efforts pour se persuader du contraire, le garçon se sentait de plus en plus mal. Et chaque fois qu'il sentait les signes du froid se manifestait, il se persuadait un peu plus qu'il avait chaud, comme les autres. Au bout d'une heure, il tomba, inerte, en plein soleil. Il était mort de froid.

mercredi 10 avril 2013

Texte totalement informel - Les racines

Il est amusant de constater à quel point certains souvenirs peuvent être vivaces alors même qu'on pensais les avoir enfouis dans les limbes. On vit sa vie, on avance, le regard fixe, droit devant, à chercher de l’œil un horizon. La marche de la vie nous pousse inéluctablement vers l'avant, et nous suivons le plus souvent le pas sans nous retourner. Sans même, parfois, regarder ce qui est à nos pieds. On en vient alors à croire que le chemin parcouru est complètement effacé, rendu inaccessible, bien planqué dans un recoin de notre inconscient. Et pourtant, ils sont là, ces souvenirs. Bien vivants. Plus même qu'on pourrait le soupçonner.
Je tiens généralement en horreur les phrases toutes faites, mais je crois, ce soir, que savoir d'où l'on vient aide bel et bien à comprendre, sinon où l'on va, au mois où on est.
Au cours d'une conversation plus ou moins intéressante sur une série de souvenirs d'enfance, en évoquant un un passage de ma prime jeunesse mettant en cause une barquette de betteraves rouges et mon dégout viscéral pour celles-ci, je fus soudainement frappé d'un mutisme involontaire. Fouillant dans les anecdotes qu'on m'avait rapporté de mes années maternelle, j'ai dû déverrouiller quelque porte dont je ne pensais pas avoir la clé. Mes souvenirs, qui y étaient sans doute entassés depuis bien trop longtemps, ont alors profité de la brèche pour s'enfuir à toute vitesse et envahir mes pensés. Tout à refait surface. Des images, d'abord. Un salle de jeu, une échelle, une cour de récré... Ensuite, plus surprenant, des odeurs. Celle de la moquette grise, celle des lits et des couvertures, celle, oserais-je l'avouer, de mon " papou " alors adoré. Puis, et c'est là que ça devient intéressant, des sensations, des expériences... La disparition de mon " papou " dans la boîte à doudou, ma certitude de connaître l'odieuse qui avait commis le larcin, l'ennui qui était le miens pendant l'heure de la sieste, et ceci, et cela...
Je devais alors en arriver au point culminant de cette seconde de clairvoyance. Une infime bribe de réponse aux questions qui sont les miennes. Une affirmation de ce que je pense être est bel et bien ce que je semble avoir toujours été. Je me suis souvenu avoir détesté cet endroit. Je l'ai haïs de tout mon cœur d'enfant. J'en avais peur, aussi. Une peur profonde. Une peur qui se changeait en colère lorsque je regardais mon père partir tous les matins. non pas parce que lui s'en allait, parce que j'avais peur d'être abandonné, d'être oublié. Je savais très bien ce qu'était cet endroit. Je le regardais partir la larme à l’œil et la rage au cœur parce que moi, je devais rester. Et parce que je n'en avais aucune envie. Je lui en ai beaucoup voulu, chaque matin un peu plus, de me laisser là. Je détestais tout, les murs, les vitres, les dessins, les tables, les lits, les boîtes, les jouets... Mais plus que tout, je détestais les gens. Les enfants, qui, lorsqu'ils ne voulaient pas de moi pour ami, faisaient preuve d'une cruauté et d'une mesquinerie que je n'avais alors jamais connu, et, lorsqu'ils voulaient de moi, ne semblaient pas avoir grand chose d’intéressant à m'offrir. J'ai bien sûr tissé quelques liens. Des fratries et fratricides de cour de récré. Mais, déjà à l'époque, je ne me sentais à ma place dans aucun groupe. Et il y avait les adultes, aussi... Même à mon âge, je me rendais compte qu'ils nous parlaient comme à des débiles. Et, plus révoltant encore, je semblais être le seul à le remarquer. 
Je n'ai jamais vraiment voulu être grand, pas parce que j'aimais trop ma vie d'enfant, mais parce que je pensais que la vie d'adulte n'avait pas beaucoup plus à offrir. aujourd'hui, je penserais presque que c'est pire.
Comme il est d'usage après les instants de lucidité, j'ai eu l'impression d'avoir appris quelque chose, ce qui m'a poussé à prendre le stylo. Maintenant que j'ai couché le tout sur papier, ce quelque chose ne me paraît pas vraiment plus tangible. mais je sais qu'il existe.
J'ai toujours été ce que je suis. Je ne suis pas le fruit d'un effet de mode ou d'une crise d'ado. Je ne dis pas que je suis au dessus de tout ça, ni que je ne pense pas avoir évolué depuis. Mais ce que je pense, je le pense vraiment. Et les racines de ce raisonnement plongent dans ma plus tendre enfance. Je ne sais pas ce que l'arbre de ma vie va donner comme fruit, mais je suis fier de n'avoir pas subit de greffe. Je suis la racines,  le tronc, les branches et les feuilles de ma propre vie.

C'est déjà ça, non ?