Si vous êtes coutumier du métro
parisien, vous avez sans doute déjà remarqué les souris qui y
pullulent. Elle sortent aux premières heures de la nuit, trottinant
à l'affut de quelques restes abandonnés sur les voies par des
passagers négligeant. Elles se contentent la plupart du temps de
quelques détritus à peine comestible, mais il arrive, parfois,
qu'elles tombent sur un festin de roi. C'est ce qui arriva un triste
soir. Gisait alors sur les rails un énorme morceau de pain.
Peut-être était-il tombé malencontreusement du sac d'un étourdi,
ou peut-être avait-il été laissé là par un ami des rongeurs,
soucieux d'offrir à ces petits êtres de quoi les sustenter pour les
jours à venir. Il y avait en effet là de quoi nourrir une bonne
partie des habitantes de la ligne 7. Et il ne fallut que peu de temps
pour qu'elles le remarquent.
Sortant de quelque trou habilement
dissimulé, trois souris se précipitèrent sur ce morceau de choix.
Mais, au lieux de profiter du repas, elles entamèrent ce qui
semblait être un ballet. Alors que la première danseuse commençait
à ronger un morceau de croute, la deuxième se rua sur elle et la
fit déguerpir, à coup de pattes et de dents. Avant qu'elle eut pût
profiter de cette victoire, la troisième lui fit subir le même
sort. Encore quelques secondes et la première était de retour,
prête à l'assaut. Si bien qu'aucune d'elle ne put s'approcher bien
longtemps de l'objet de leur convoitise.
Il y avait pourtant bien assez de pain
pour rassasier les trois concurrentes, et même pour qu'il en reste
pour les trois soirs suivants. Mais elles continuaient leur ballet,
allant et venant sans cesse, chacune d'elle voulant assoir son
autorité et garder l'intégralité de la trouvaille pour son seul
profit. Il était même possible de se demander si le motif de leur
lutte était la faim ou le pouvoir. Mais personne ne put jamais en
avoir leur cœur net. Car elles étaient tant occupé à se battre et
à gesticuler dans tous les sens, qu'aucune d'elle n'entendit le
bruit significatif, et dont elles avaient pourtant l'habitude, du
train à l'approche. Elles furent fauchées sans même savoir ce
qu'il leur arrivait, figées à jamais dans leur bêtise.