lundi 26 novembre 2012

Nouvelle - Au jardin des baisers volés

 
 Au jardin des baisers volés



Notre jardin resurgit dans ma vie sans raison particulière ni préavis. C'était par un après midi d'automne. Jeanne avait amené les petites à la danse et je m'étais mis à lire sur la terrasse. Même si mes yeux suivaient scrupuleusement les lignes dactylographiées, mon esprit avait commencé à voyager, à rebondir de réflexion en réflexion, de souvenir en souvenir. Et puis, comme un éclair, tout m'est revenu en mémoire. Les ronces qui nous écorchaient les chevilles, le lierre sur lequel nous prenions appui, le parfum des roses qui poussaient librement et le goût des fraises sauvages... Si je m'y suis acharné plusieurs années durant, le temps, lui, n'a pas tout effacé.
Avant d'avoir pu me rendre compte de ce que je faisais, j'avais posé mon livre sur la table, traversé ma grande maison vide, enfilé ma veste, verrouillé la porte et quitté l'impasse où j'habite. Je me suis engagé dans la rue des Glycines, cette rue que je connais si bien. Cette rue où j'ai grandis. Où nous avons grandi.
J'avais la ferme conviction de devoir y retourner, pénétrer de nouveau dans ce jardin que nous seuls connaissions. Et toi, où que tu sois, t'en souviens-tu? Nous l'avions appelé «  le jardin des baisers volés ».
Après quelques minutes de marche, je passais devant notre ancienne école. Au coin de la rue, la confiserie où nous avons dépensé presque tout notre argent de poche. Tout près, la bibliothèque, où nous allions régulièrement lire des bandes dessinées. Plus loin, à droite, le chemin de terre où nous faisions du vélo. Comment ai-je pu oublier dans cette ville où tout, absolument tout, me rappelle mon enfance. Où tout me rappelle ton visage. Peut-être pour ne pas me rendre compte que je me suis trompé. Peut-être pour étouffer ce sentiment que je ne vis pas la vie que je devrais vivre.
Encore quelques minutes et elle était en vue. La maison abandonnée. Je ne me souvenais pas qu'elle n'était qu'à un quart d'heure de chez moi. Elle m'a toujours semblé si loin.
Personne ne l'avait habité depuis si longtemps. Elle était déjà délabrée quand nous étions gamins. Elle trônait au bout d'une allée que plus personne n'empruntait. Je pris le sentier que nous avions tracé, sur la gauche de la façade. Je m'enfonçais dans les arbustes pour finalement arriver au mur couvert de lierre. A son pied, toujours fidèle à la tâche, le rondin de bois que nous utilisions pour grimper. C'était moi qui avais découvert ce passage, et je m'étonnais que personne ne l'ait fait plus tôt.
Avec plus de difficulté qu'à l'époque, j'escaladais à nouveau le mur d'enceinte, qui gardait notre forteresse. De l'autre côté, les ronces m'attendaient à la réception. Sans doute étaient elles contentes de me revoir, car elle m'écorchèrent les chevilles quand j'essayais de m'en dégager.
Quand je levai la tête, je n'en cru pas mes yeux. Notre havre avait à peine changé, tu aurais du voir ça. A l'exception de la végétation, plus dense, tout était à sa place. Il ne manquait que toi.
Où que tu sois, à quoi ressemble ta vie? As tu fait les mêmes choix que moi? As tu fait les mêmes erreurs que moi? Tu as quitté ma vie si brutalement...
De l'école primaire à nos dix-sept ans, nous ne nous étions jamais séparés. Et puis, c'est arrivé. Ça s'est su. Mes parents se sont indignés, les tiens ont pris peur. Debout, dans ce jardin, plus de 20 ans après, j'étais sûr que le sol se souvenait encore des larmes que j'avais versées le jour où tes parents t'ont envoyé vivre au loin.
On m'a assuré que c'était une passade. Un amour d'adolescent. J'en ai beaucoup voulu à mes parents. Et pourtant, ils ont réussi. Ils mes les ont inculqués, leur principes. Aujourd'hui, il ne me reste plus de colère, ce serait vain. Il ne me reste que des regrets. Des souvenirs, aussi. Le souvenir de ton nom. Le souvenir de ton visage. Celui du goût de tes lèvres et de la douceur de ta peau. Et, malgré tout, gravé au fer rouge, les injures que mon père m'avait lancées ce jour là. Il avait peut-être raison, après tout. Un homme avec un homme, quelle drôle d'idée...







Le pourquoi du comment : J'ai écrit cette nouvelle il y a déjà plusieurs mois, avec pour but de l'envoyer à un concours. Le thème imposé était : Jardin secret. Les candidats étaient censés être prévenus des résultats en septembre. Malgré l'envoi d'un mail, je n'ai eu aucune réponse ni aucune indication sur les résultats. Tant pis. En tout cas, c'est avec plaisir que je la partage ici aujourd'hui, histoire d'avoir quelques réactions. Je choisis d'ailleurs bien mon moment, je n'avais pas pensé en l'écrivant qu'elle s'inscrirait plus ou moins dans un débat d'actualité.

1 commentaire:

  1. Tu m'avais fait découvrir ce texte quand tu l'as écrit, et le relire sur ton blog me procure toujours autant d'émotions... Ce que je trouve génial dans ton texte, c'est que tu exprimes tout le ressenti de ton personnage, on le suit, on le comprend, il nous emmène... Il y a une nostalgie, une force particulière... Le fait que tu attribues à ton personnage cette phrase "Un homme avec un homme, quelle drôle d'idée..." quand on connaît ses émotions, on ne peut qu'avoir envie de le faire réagir, de lui crier que les adultes se sont trompés, qu'ils n'ont rien compris ! A l'heure où le débat est ce qu'il est sur l'amour entre deux personnes du même sexe, je le trouve d'autant plus fort.

    RépondreSupprimer