Ce soir, j'ai bien cru que j'irais
nourrir les poissons de la Seine.
Une série d’événements en
apparence mineurs m'ont plongé dans une névrose profonde aussi vite
que j'en suis par la suite ressorti. Je n'avais aucune envie de
rentrer chez moi. Je n’avais pas envie de voir des amis. J'ai
quitté les cours avant la fin de la journée, et je suis passé
acheter une bouteille de Madère. Je suis allé à Bercy. Je me suis
posé sur la partie inférieure du pont de la Bibliothèque François
Mitterrand. J'avais envie d'étreindre et de fuir la solitude en même
temps. J'avais envie d'envoyer chier les passants, ma famille et mes
amis. Je me disais que rien ne valait la peine. Les mots et les idées
se bousculaient dans ma tête en un manège incessant. Et puis, tout
à coup, j'ai regardé la Seine.
Elle n'en avait rien à faire de mon
trouble, la garce. Elle coulait, simplement. Je me suis dis que tout
serait plus simple si je m'y jetais. Que tout serais fini. Que moi
aussi je coulerais, simplement. J'avais atteint le pic de cette
dépression accélérée. Dans ma vie, c'est la deuxième fois que je
pense plus ou moins sérieusement à me foutre en l'air. Mais là,
c'était encore plus fort que la fois précédente. Tout paraît si
simple, quand on voit les choses de ce point de vue. Tout est si
facile. Il suffit d'enjamber la barrière.
J'en étais à la moitié de la
bouteille. J'avais froid. Et, soudainement, m'est venue une idée. Un
ami m'a il y a quelques temps fait remarquer que je n'avais jamais
remercié mon ex pour le pas en avant qu'elle m'avait,
involontairement, poussé à faire. Je lui ai envoyé un message, ou
je lui disais enfin à quel point le monde qu'elle a voulu me faire
découvrir m'avait dégoûté, et à quel point ce dégoût m'avait
aidé à y voir plus clair sur qui j'étais vraiment . Je ne
m'attendais pas à une réponse. En fait, je n'y pensais déjà plus
avant qu'elle n'ait pu le lire. De nouveau, il n'y eu plus que moi,
la Seine, et de la béatitude que me procurerais notre union. Mais
elle a répondu...
Dans ma vie, c'est la deuxième fois
que je lui suis redevable. Si elle n'avait pas été là, bien que je
ne sais pas si j'aurais sauté, je serais toujours en plein tête à
tête avec la Seine. A l'époque où je l'ai quittée, elle m'a fait
comprendre qui j'étais. Aujourd'hui, elle m'a fait comprendre
pourquoi le fait d'être qui je suis vaut encore le coup.
J'ai du mal avec mes semblables. Depuis
toujours. Et j'ai longtemps cru que j'étais seul responsable de
cette profonde incompréhension qui nous séparaient, moi et le monde
qui m'entoure. Mais ce soir, toujours fidèle à elle même, mon ex
m'a rappelé, involontairement, toujours, qu'il y a sur Terre des
cons. Des vrais cons. Pas juste des personnes avec qui je ne
m'entends pas forcément bien. De véritables ordures. Élitistes,
manipulateurs, égocentriques... Et en bonne ambassadrice, elle m'a
fait comprendre que ces gens là ne se jetterons pas du haut d'un
pont. Ces gens là ne s’arrêteront pas. Et surtout, que ces gens
là ne méritent pas de gagner. Plus que pour les gens que
j'apprécie, et, malgré mon côté sociopathe, ils existent, c'est
pour les gens que je hais que je veux continuer à me battre. Il est
hors de question de me coucher. Ce serait les laisser avoir encore un
peu plus d'emprise sur le monde.
J'ai finis la bouteille en lisant les
inepties qu'elle m'avait envoyé. Ça suintait le luxe, la
prétention, la naïveté et la mauvaise foi. J'y ai pris un plaisir
fou. Je me suis levé, et j'ai balancé la bouteille vide dans la
Seine. Comme pour lui faire comprendre qu'elle avait échouée.
Qu'elle ne m'aurait pas ce soir. La clope au bec, je me sentais
grand. Je me sentais fort. Capable de tenir bon malgré les assauts
incessant des pires créatures. Je le sais. Je le sens. Je n'en suis
qu'au début de mon combat. Et même si, un jour, je me rends compte
que ma révolte, quoi que j'en fasse, n'aura pas eu plus d'impact sur
le monde qu'un gravier en aurait sur un mur en béton armé, je
saurais que je n'aurais pas eu tort. Que je n'aurais pas perdu. Que
je ne me serais pas couché.
Parfois, il ne faut pas grand chose
pour sortir d'un moment de déprime. Et la prochaine fois que je
flirterais avec mes idées noires, je n'aurais qu'a aller retrouver
mon amie la Seine, une clope dans une main, une bouteille de Madère
dans l'autre, et à discuter avec des cons...